Par Raul Magni-Berton | 13 December 2018
Commençons par une expérience de pensée. Supposons que la France ait disposé du référendum d’initiative populaire. Au mouvement des gilets jaunes il aurait suffit d’une pétition signée par, disons, un million de signataires pour déclencher un référendum sur le sujet de leur choix, par exemple, l’abrogation de la hausse des prix du carburant. Si la majorité des votants français s’était prononcée pour le oui, les requêtes des pétitionnaires auraient été légalement contraignantes pour le gouvernement qui n’aurait rien pu faire d’autre que les valider.
Cela aurait certainement évité à des milliers de travailleurs français de perdre des heures de travail ou de temps libre pour bloquer des routes, ou d’être bloqués. Cela aurait également permis d’éviter le recours à la violence, les répressions policières, et même plusieurs décès. Sans parler de la colère ressentie et du coût des centaines de garde de vue. Le référendum d’initiative populaire a certainement cette vertu pacificatrice. Nous ne sommes pas d’accord avec le gouvernement ? A nous de faire une proposition, trouver des signataires et montrer que la majorité des votants est d’accord avec nous.
En France, le référendum d’initiative populaire est illégal. Il y a bien des institutions qui lui ressemblent à première vue : référendum d’initiative partagée, référendums consultatifs, référendum d’initiative présidentielle ou des collectivités territoriales. Certaines d’entre elles offrent aux citoyens la possibilité d’initier des réformes, mais pas de pouvoir les accepter ou les refuser. D’autres permettent d’adopter ou rejeter des propositions, mais sans que celles-ci soient à l’initiative des citoyens. Pour cette raison, ces institutions manquent toutes le point fondamental : la possibilité pour les citoyens de faire la loi sans avoir besoin, à aucune étape du processus, de leurs représentants. C’est cela le référendum d’initiative populaire : une partie des citoyens propose, l’ensemble des citoyens vote.
Lorsqu’un mécanisme de ce type a été mis en place au niveau local – comme c’est arrivé en 2016 à Grenoble – le préfet de l’Isère l’a porté devant les tribunaux et le juge administratif a décidé de l’annuler. La raison est, en substance, simple : en France, les élus ne peuvent pas se dessaisir de leurs compétences, donc même s’ils acceptent de céder une partie de leur pouvoir – ce qui est suffisamment rare pour être noté – ils ne peuvent pas le faire.
Mais, après tout, on pourrait imaginer que si le référendum d’initiative populaire avait existé en France, les conséquences n’auraient pas nécessairement été souhaitables. Et ce, en dépit de son effet pacificateur. Cela aurait peut-être conduit à l’annulation d’une série de réformes qui visaient à assainir notre système fiscal, c’est-à-dire à rembourser notre dette. Cela aurait pu également conduire à freiner les changements qui visent à moderniser le pays. Certes, tout cela est possible. Mais doit-on se contenter de ces conjectures ?
La réponse est « non ». Le référendum d’initiative populaire existe depuis plus d’un siècle en Suisse et dans la plupart des États de l’Ouest des États-Unis. Un grand nombre de travaux scientifiques a étudié minutieusement ses effets. En particulier, aux États-Unis, il est assez facile de comparer les conséquences de ce dispositif, puisqu’environ la moitié des États et des villes l’utilise, et l’autre moitié en est dépourvue. Il y a donc plusieurs dizaines d’États, des centaines de villes et une bonne centaine d’années à observer et à comparer. La dernière synthèse de ces travaux a été faite très récemment par John Mastusaka1. Donc, qu’observe-t-on ?
Premièrement, le référendum d’initiative populaire n’engendre pas plus de dettes. Bien au contraire, il réduit la dette publique et contribue ainsi à assainir la gestion des comptes publics. Autrement dit, là où il y a le référendum d’initiative populaire la dette publique est significativement plus faible. Voici la raison. Les représentants sont toujours incités à faire des cadeaux à leurs électeurs potentiels, sans pour autant trop déplaire aux autres. Créer du déficit public, sans que cela ne se voie trop, est donc toujours tentant. En revanche, les contribuables ne sont pas très favorables à s’endetter, et cela se voit à la façon dont ils votent lors des référendums. À cela s’ajoute l’effet pacificateur cité précédemment, qui permet de ne pas régulièrement bloquer l’activité économique à cause de contestations.
Deuxièmement, est-il vrai que les électeurs ont tendance à être contre le changement ? Oui. En Suisse il y a même un nom pour cela : les « neinsager » – ceux qui disent non. Cependant, cela n’a pas empêché la Suisse d’être l’un des pays les plus riches et les mieux organisés du monde. Ni au PIB de la Californie de passer devant celui de la France, malgré un nombre d’habitants inférieur. En fait, ce sont des systèmes politiques où les changements exigent un certain consensus, ce qui garantit que quand la politique change, elle change vraiment et durablement.
Le référendum d’initiative populaire a beaucoup d’autres effets positifs, bien plus nombreux que ses effets négatifs, mais il serait long de les exposer en détail ici. A titre d’exemple, il favorise la compétence des électeurs, il décroit l’influence des lobbies, et produit une satisfaction plus élevée pour la démocratie et pour la vie en général. Une étude récente illustre cela : une enquête menée auprès de jeunes suisses de 17 à 18 ans démontre que, contrairement à leurs voisins européens, la très large majorité d’entre eux est satisfaite de leur système politique. Pourquoi ? Parce qu’il permet d’accommoder les critiques les plus radicales contre le capitalisme, les revendications de mouvements conservateurs ou même les partisans de l’Islam politique2.
Tout cela permet de conclure, chiffres à la main, que le « changement » ne s’obtient pas par un leader providentiel et éclairé, mais par un système démocratique plus inclusif. Et s’il est parfaitement normal que, du point de vue d’un gouvernant, les obstacles à son action soient perçus comme une force conservatrice, il faut aussi constater que les pays ou les régions qui ont prévu un obstacle majeur à l’action libre de leur gouvernant – le référendum d’initiative populaire – se portent mieux. Cela peut s’illustrer avec un exemple simple. Il y a en France une rhétorique de l’homme providentiel qui s’appuie sur des anecdotes phares comme celle-ci : contre l’avis de la majorité, François Mitterrand a aboli la peine de mort en 1981 et ce tour de force a conduit le pays et son opinion publique vers le progrès et la civilisation. À l’opposé de cette histoire, il faut rappeler que l’Oregon a abolit la peine de mort en 1914 à travers un référendum d’initiative populaire. Par cette même procédure, la Suisse l’a abolie en 1938. Rien ne nous permet donc de dire que, si ce dispositif avait été présent en France, l’abolition de la peine de mort n’aurait pas eu lieu plusieurs années avant l’arrivée de Mitterrand au pouvoir. Et, pour revenir aux gilets jaunes, nous ne serions peut-être pas aujourd’hui en train de surtaxer les travailleurs pour éponger notre dette publique.
(Relu et corrigé par Nelly Darbois)
Une version remaniée de cet article est publiée ici : https://theconversation.com/debat-le-référendum-dinitiative-populaire-la-solution-108355/