Par Raul Magni-Berton | 18 December 2018
Le peuple n’a pas de voix, ni d’adresse. Pour certains, la seule façon de lui donner du pouvoir est de lui donner un représentant qui, lui, a une voix et une adresse. C’est avec cette idée en tête que le président de la république s’adresse au peuple français, en particulier à ceux qui sont dans la rue, en disant « c’est surtout avec notre projet collectif qu’il faut renouer ». Cela ne peut que manquer sa cible parce que la plupart d’entre nous ne se sent pas impliqué dans un projet mené par Macron. Le représentant ne peut pas être la voix du peuple, car, autrement, cela conduirait à délégitimer toute contestation qui, du coup, serait vue comme une action contre le peuple lui-même.
Mais il y a une autre signification de l’expression « donner le pouvoir au peuple ». Elle repose sur les droits politiques que chaque citoyen a. En France, par exemple, nos droits politiques sont les suivants : pouvoir voter, être candidat, créer ou adhérer à des associations à finalité politique. Et sous certaines conditions, manifester ou appeler au boycott. C’est déjà mieux que dans la plupart des dictatures : on peut dire que le peuple a un peu de pouvoir puisque chacun de nous peut contribuer à influencer la politique de notre pays. Le peuple a un peu de pouvoir non pas parce qu’il prend des décisions communes, mais parce que chacun a le droit d’être impliqué dans le processus qui mène à ces décisions.
Les droits politiques en France sont cependant beaucoup moins nombreux que dans d’autres pays.
Dans certains pays, les citoyens ont le droit d’initier une loi. Ils peuvent, en effet, créer une pétition qui, quand elle atteint un seuil fixé de signatures – généralement entre 1 et 5 % de la population – déclenche automatiquement un référendum dont le résultat est contraignant. C’est ainsi qu’à Zurich, une dame, en désaccord avec le projet de construction d’un nouveau stade de football, a initié une pétition, qui a entraîné un référendum, lequel a débouché sur l’annulation du projet. Cette dame – comme tous ses compatriotes – a plus de droits politiques que nous. Elle peut rédiger ou annuler une loi – même contre l’avis de ses représentants élus – alors que nous ne le pouvons pas. Et, naturellement, elle peut voter au référendum qu’elle a elle-même initié, alors que pour nous c’est impossible.
Dans certains pays, les citoyens ont le droit de prendre part à toute décision sur les changements les plus importants – d’ordre constitutionnel ou relevant de traités internationaux. Autrement dit, il est impossible de produire un tel changement sans qu’il y ait un référendum. En Irlande, par exemple, tous les traités européens doivent obligatoirement être validés par le peuple au moyen d’un référendum. Les élus irlandais ne peuvent donc pas s’engager sur la scène internationale, puisqu’ils ne sont pas capables de savoir comment les Irlandais voteront. L’Union Européenne, à son tour, ne peut plus se contenter de convaincre les représentants irlandais, mais doit également satisfaire la majorité de ses citoyens. Voilà pourquoi l’Irlande bénéficie d’un grand nombre de statuts d’exception au sein de l’Union Européenne. Voici encore un droit que les Français n’ont pas. Ils peuvent certes voter, comme en 2005, mais seulement quand leur président décide qu’ils peuvent voter. Ce n’est donc pas un droit, mais une faveur – faveur qui peut être retirée à chaque fois que, comme en 2005, ils ne votent pas conformément aux attentes du chef de l’État.
Dans certains pays, les citoyens ont le droit de déclencher une élection. Lorsqu’un citoyen est fortement mécontent de ses représentants il peut initier une pétition pour déclencher de nouvelles élections. Si cette pétition atteint un seuil – disons 10 % du corps électoral – les élus sont contraints de démissionner et de nouvelles élections doivent être tenues. En Californie, cette possibilité existe, et c’est même ainsi que le gouverneur Davis fut chassé du pouvoir en 2003. Encore un droit que nous n’avons pas en France.
Enfin, dans beaucoup de pays, il n’y a pas forcément des droits politiques supplémentaires, mais les droits existants sont plus faciles à exercer.
Dans certains pays, par exemple, le droit de manifester est beaucoup plus étendu. Le gouvernement ne peut pas interdire une manifestation. Ou encore, les citoyens ont le droit de manifester la tête couverte, s’ils estiment que le dévoilement de leur identité peut leur porter préjudice. C’est ainsi qu’à Genève, en 2018, la manifestation pour le droit à la ville s’est déroulée pacifiquement en plein centre, avec au moins deux tiers de manifestant masqués, et s’est terminée par l’occupation d’un immeuble vide depuis longtemps, appartenant à une société d’assurance. Ayant le droit de faire ce qu’ils ont fait, la ville de Genève s’est contentée de demander aux occupants quels étaient leurs objectifs pour occuper, en vertu d’un projet collectif, un bien privé. Le droit à l’occupation d’un immeuble vide se négocie, bien sûr, mais à partir d’une solide armature de droits politiques.
Autre exemple, le droit de vote. Parfois, l’inscription sur les listes électorales est automatique, de sorte que les démarches à faire pour voter se limitent à se rendre au bureau de vote, comme en Belgique. L’Estonie a même éliminé ce désagrément ultime en permettant de voter sur internet aux élections nationales. Depuis les jeunes, notamment, votent beaucoup plus.
D’autres règles facilitent le fait d’être candidat. À l’élection présidentielle française, on ne peut être candidat que si l’on a des parrainages de personnes déjà élues. Dans presque tous les autres pays européens où il y a un président élu, on peut être candidat grâce également à des parrainages citoyens, c’est-à-dire, encore une fois, avec une pétition plus ou moins importante. Chaque citoyen a donc également le droit de parrainer le candidat qu’il souhaite.
Il est difficile d’être exhaustif quand il s’agit de lister tous les droits politiques que nous n’avons pas en France. Je me suis limité aux plus classiques, même si la liste peut facilement être rallongée. Mais cela permet d’illustrer ce que signifie « donner le pouvoir au peuple ». Cela signifie distribuer les droits politiques aux individus, qui, par un effet mécanique, réduisent les pouvoirs des représentants.
(Relu et corrigé par Nelly Darbois)