Par Raul Magni-Berton | 4 March 2019
Depuis que le RIC est à l’ordre du jour en France, un grand concours a été lancé : à celui qui trouve un nouveau qualificatif au RIC. On a vu depuis fleurir les propositions les plus exotiques. La dernière en date nous vient de Terra Nova, think tank qui se qualifie de progressiste, et qui propose le « RIC délibératif »1. C’est joli. Il est censé nous protéger des « risques » que le RIC comporte. Après lecture, il nous protège effectivement de tout risque d’utilisation du RIC.
Pour commencer, ne vous concentrez pas sur le mot « délibératif ». Il s’agit d’un embellissement récemment exploré par plusieurs Etats américains. Il consiste à mettre en place une assemblée tirée au sort qui puisse débattre de la proposition soumise à référendum et transmettre son avis aux gens. C’est sympa, mais maigre pour fournir la solution aux multiples dérives que les auteurs croient identifier dans le RIC.
Ce qui en fait nous « protège » du RIC est le reste de la proposition. Pas de possibilité de changement constitutionnel à travers un RIC. 900 000 signatures pour proposer une loi, et le double pour l’abroger (soit 4 fois plus élevé de ce qui se fait en Suisse ou en Italie). Il y a en outre des restrictions fortes sur les sujets : pas de RIC sur les traités internationaux et des RIC infaisables sur les questions fiscales et d’organisation des pouvoirs. Pourquoi infaisables ? Parce qu’en outre qu’un seuil de signatures de presque deux millions d’électeurs, le référendum ne serait validé que si 50% des inscrits sont favorables à la proposition. Pour donner un ordre d’idées, si une telle règle valait pour les élections, nous aurions été gouvernés jusqu’en 2017 par 17 députés (les 560 restants n’auraient pas satisfait cette exigence). De plus, Emmanuel Macron n’aurait pas été élu, n’ayant pas atteint les 50% des inscrits. Mais on n’est jamais assez prudent : pour éviter que ce seuil ne soit atteint, Terra Nova déconseille de mettre plusieurs référendums en même temps. Il s’agit pourtant d’une règle basique pour faire voter les gens : s’il y a un seul référendum qui m’intéresse, je vais également voter pour les autres, puisque j’y suis. Sans cette possibilité, adieu validation.
Pour les référendums les moins importants, nos amis de Terra Nova proposent un quorum moins élevé, connu pour faire baisser la participation et tuer le débat public. Il faut au moins 50% d’électeurs qui votent (peu importe si pour le oui ou pour le non). Avec ce seuil, Emmanuel Macron aurait bien été élu, mais presque aucun de nos parlementaires actuels l’aurait été. Au-delà de cet aspect décourageant, voici ce qui se passe avec une telle règle : ceux qui sont contre la proposition préfèrent ne pas aller voter, afin que ce seuil de participation ne soit pas atteint. Pas seulement : ils préfèrent également en parler le moins possible, afin qu’il y ait un maximum de gens qui restent indifférents et renoncent également à voter. Bref : moins de participation, moins de délibération. Ce qui est tout de même un comble pour un RIC délibératif qui vise à « combiner aussi étroitement que possible démocratie directe et démocratie participative ».
Par curiosité, voyons quels sont les « nombreux et redoutables » problèmes soulevés par le RIC. Tout d’abord, le RIC est le « règne de la démagogie et des manipulations ». Faux. Il est très difficile d’être démagogue et manipulatoire avec une question qui n’offre que deux options : oui et non. C’est en revanche beaucoup plus facile de le faire dans une élection, lorsqu’il y a plusieurs candidats, chacun porteur de nombreuses promesses, qui de plus sont non contraignantes. En fait, s’il doit y avoir un règne de la démagogie et des manipulations, celui-ci serait plutôt l’élection présidentielle. Le RIC aurait, en ce sens, plutôt un effet modérateur de telles dérives.
Ensuite, il y a « la complexité des questions ». Et, bien sûr, l’exemple est le Brexit, que les britanniques regretteraient désormais. Mais le référendum sur le Brexit n’était pas issu d’une initiative citoyenne. N’aurait-il pas été mieux de choisir un exemple de RIC pour montrer l’incapacité de bien voter face à des questions complexes ? Certainement. Mais cela est difficile : la Suisse, comme aussi les Etats américains qui ont un RIC, ont une meilleure croissance que la France, une dette publique moindre, une satisfaction générale des citoyens supérieure. Bref : ils ne semblent pas regretter de voter sur des questions complexes. En revanche, des milliers de français regrettent de pas pouvoir le faire.
Troisième problème : les différents biais liés à la question. Autrement dit : il est plus facile de convaincre à voter « non » que « oui ». Et alors ? Précisément pour cette raison il n’y a pas besoin de quorums et autre obstacles proposés par Terra Nova. Le camp du « oui », c’est-à-dire ceux qui sont favorables à l’initiative citoyenne, a déjà un désavantage naturel. Pourquoi alors exiger des seuils de validation supplémentaires ?
Quatrième problème : les dérives plébiscitaires. En effet, Napoléon ou De Gaulle faisaient des référendums qui devenaient des référendums centrés sur leur personne. Ici les auteurs semblent avoir eu un moment de lucidité, car ils écrivent que « dans le cas d’un RIC, la question venant du peuple lui-même, cette critique peut être écartée a priori ». Effectivement, les plébiscites c’est seulement lorsque celui qui commande lance un référendum. Cependant, le moment de lucidité a été provisoire puisqu’ils poursuivent ainsi : « Il demeure qu’un usage démagogique et favorable à un groupe ou un leader politique reste envisageable ». Traduction : « cette critique du RIC est vraiment stupide, mais on la fait quand même ».
Cinquième dérive : la délégitimation des parlementaires. Ils ont déjà si peu de pouvoir en France, que cela peut s’empirer avec le RIC. Les auteurs oublient que le RIC est aussi une arme dans les mains des parlementaires, notamment ceux des partis minoritaires. Ils pourraient ainsi lancer des RIC, plutôt qu’assister impuissants aux décisions du gouvernement, comme c’est le cas aujourd’hui. Sixième risque : l’inflation électorale. Les gens pourraient voter beaucoup trop souvent. Là-dessus, je dois dire que les auteurs ne précisent pas où est le « risque ». Dernier problème : la disqualification de la classe politique. Elle est déjà si discréditée, cela risque de s’empirer avec le RIC. Les auteurs pourraient tout de même se renseigner : dans la patrie du RIC – la Suisse – la confiance dans les partis politiques et les parlementaires est parmi les plus élevées d’Europe. Ce qui au demeurant est compréhensible : on a davantage confiance en notre plombier si on peut contrôler ses factures.
Je terminerais donc avec nos références respectives. Les auteurs semblent aimer Léon Gambetta, et le citent : « Pour que le peuple prenne science et conscience, il faut qu’il y ait eu débat, il faut qu’il y ait eu controverse, il faut qu’il y ait eu discussion ». Pour notre part, on préfère Condorcet : « Il n’est point nécessaire pour décider en connaissance de cause, d’avoir lu ou entendu sur chaque objet, ce que les hommes chargés de cette même décision ont pu penser […] Il suffit que l’on ait eu le temps d’examiner les questions en silence ou de les discuter librement dans les sociétés privées ».
(Relu et corrigé par Nelly Darbois)